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Interview / Prof Ardjouma Dembélé (Directeur Général de Lanada) : « Les produits pour colorer les aliments et faire murir les fruits sont cancérigènes… »

Professeur Ardjouma Dembélé est le Directeur de Recherche (Cames) en Eco-toxicologie et Agrochimie et Directeur du Laboratoire National D’Appui au Développement Agricole (Lanada). Dans cet entretien, il parle de Lanada, des démarches entreprises par cette structure pour acquérir l’accréditation ISO/CEI17025 pour plusieurs programmes analytiques de laboratoire dans le cadre de la sécurité sanitaire des aliments.

« Notre objectif est de se doter de l’accréditation ISO/CEI 1702 »

Pouvez-vous nous présenter Lanada?

Lanada est un Etablissement Public à caractère Administratif (EPN) placé sous la tutelle du Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural. Il y a quatre sous-directions à Lanada dont la sous-direction administrative et financières, la sous-direction scientifique et technique, la sous-direction chargé des relations extérieurs et de la qualité et enfin la sous-direction des matériels et des équipements.

Comment tout cela est organisé ?

Comme toute structure, nous sommes bien organisés avec un conseil de gestion qui a le rôle de supervisons, de contrôle et d’orientation des activités que nous menons. Et aussi, un contrôleur budgétaire, un agent comptable qui est du Ministère de l’Economie et des finances (la tutelle Economie et financière) et un conseil scientifique qui est entrain de se mettre en place. Puis, nous avons cinq unités techniques qui sont des laboratoires spécialisés dans différents domaines. Vous avez le laboratoire Central Vétérinaire de Bingerville (LCVB) qui a en charge la problématique des pathologies animales d’élevage et sauvage. Cette unité technique héberge les départements et les services de microbiologie de virologie, des pathologies aviaires et aquacoles. Aussi, un centre d’insémination artificielle. Notre vision, est de réhabiliter ce centre avec des matériels modernes et adéquats en vue de pouvoir répondre à la politique d’amélioration génétique de la Côte d’Ivoire.

Avez-vous d’autres unités ?

Nous avons également comme unités techniques, le Laboratoire Central d’Hygiène Alimentaire et l’Agro-Industrie (LCHAI) situé à Vridi, rue des pêcheurs, ce laboratoire contrôle les produits halieutiques à l’import et à l’export et tout ce qui concerne les denrées alimentaires d’origine animale et végétale destinées à la commercialisation. Le LCHAI est également organisé en différents services tels que le service de microbiologie, le service d’analyses physico-sensorielles, notamment organoleptiques, et le service des analyses Physico-chimiques (Analyses des ETM (Eléments Traces Métalliques), analyse de l’histamine, analyse de l’azote total volatile (AVT) et le dosage des acides aminés et protéines) ; une unité technique spécialisée en analyse des contaminants qui est le Laboratoire Central d’Agrochimie et d’Eco-toxicologie. Ce laboratoire est spécialisé dans le contrôle qualité et l’analyse des résidus des pesticides ou produits agro-pharmaceutiques et des médicaments vétérinaires dans les denrées alimentaires, l’analyse des mycotoxines (les Aflatoxines, l’ochratoxine A et les fumonisines) dans les aliments en particulier dans le cacao, le café et les céréales. Ce laboratoire contrôle également la qualité des engrais et la recherche des ETMS dans les matrices environnementales. Ces deux unités techniques sont situées à Treichville. Ce sont des outils qui mettent des données scientifiques à la disposition de l’autorité compétente en charge de la certification des denrées alimentaires avant leur mise sur le marché. Ainsi La Direction de la Protection des Végétaux et du Contrôle Qualité (DPVCQ) ou la Direction des Services Vétérinaires (DSV) s’appuie sur nos laboratoires pour prendre des décisions fiables pour la gestion des risques sanitaires. Par exemple, un bananier qui est traité avec des pesticides, l’objectif est d’éliminer ou contrôler les nuisances des insectes ravageurs parasites ou les germes pathogènes qui sont la cible. Nos analyses dans les laboratoires vont permettre de déterminer le délai d’attente avant récolte (DAAR). C’est pourquoi, nous disons qu’il faudra attendre obligatoirement 7 jours ou 15 jours et même 21 jours avant la consommation des fruits de ces bananiers traités, sinon vous courrez le risque de vous intoxiquer inutilement. Un autre exemple plus récent est le diagnostic de laboratoire qui a confirmé la présence de la grippe aviaire dans certains élevages en Côte d’Ivoire. Cela a ainsi permis à la DSV de déclarer la maladie et de prendre les mesures sanitaires qui s’imposent.

Nous avons aussi deux autres unités techniques régionales à l’intérieur du pays. A savoir, le laboratoire régional de Bouaké et de Korhogo, spécialisés en pathologie animale. Il est à noter le rattachement au laboratoire régional de Bouaké, d’un laboratoire spécialisé dans le contrôle qualité des semences qui est le LANASEM à Yamoussoukro

Des campagnes de sensibilisation sont-elles menées à l’endroit des populations pour la vulgarisation de ces structures et de vos services?

Nos laboratoires sont des laboratoires d’appui au développement agricole et de conseil. Nous ne sommes pas chargés de la vulgarisation. Il nous arrive de faire des transferts de technologies de nos résultats que nous considérons comme une valorisation des résultats de la recherche. Ainsi les producteurs de mangues à Korhogo, les producteurs de bananes et d’ananas dans la région de Sud-Comoé (Bonoua) et d’Allata, de la région de l’Atlantique au Bénin ont bénéficié de notre assistance pour l’utilisation sécurisée des pesticides et la mise en place de technologies propres de dépollution, notamment de fosse de dégradation biologique des effluves phytosanitaires. En matière d’usage sécurisé des pesticides le port des équipements de protection individuels est très important de même que savoir lire et comprendre les étiquettes des emballages pour l’utilisation des pesticides selon la bonne pratique agricole. Surtout pour la protection de l’utilisateur de ces pesticides et de l’environnement. Par exemple les cache-nez blancs communément connus sous le nom de masques blancs ne sont pas appropriés pour la protection contre les bouillies des pesticides en formulation liquide (EC, SL, SC, OD, OF), ils sont conçus avec des mailles contre la poussière. En outre les masques individuels de protection appropriés doivent être utilisés selon la nature ou le PH de nos préparations de traitement et en lisant les différentes bandes de couleur sur ces masques, on arrive à un usage correct en évitant l’auto-empoisonnement involontaire. Pour toujours répondre à ta question, Il faut indiquer que nos laboratoires assistent certaines entreprises dans la mise en place de leur système HACCP ou de guide d’autocontrôle. Pour nous cela fait partit de notre mission d’assistance conseil. Nous ne sommes pas habiletés à faire de la vulgarisation ou la sensibilisation auprès des structures de production ; cela relève d’autres départements ou agences du Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural.

Des producteurs accélèrent parfois le mûrissement de leurs fruits avec des produits afin de se faire beaucoup d’argent. Quel commentaire ?

Ce n’est pas du tout conseillé. Si ces pratiques ne sont pas par bien maîtrisées et faites dans de bonnes conditions dans un environnement appropriés peuvent avoir des conséquences dommageables très gravent pour les consommateurs. Aussi, d’autres utilisent des produits de coloration tels que les colorants du soudan pour attirer de la clientèle. Ces produits de coloration sont aussi utilisés dans les poudres de piments ou dans l’huile rouge brute de palme. On en trouve aussi dans des produits précuisinés contenant de la tomate ou du poivron. Ces colorants du Soudan ne sont plus autorisés en tant que colorants alimentaires depuis 1995. En effet, ils peuvent se dégrader dans le corps humain en amines, dont certaines sont cancérigènes. Par contre l’extrait (colorant) des graines des fruits du roucouyer (Bixa orellana), la bixine (rouge) et la norbixine (jaune orangée) est un additif alimentaire (E 160b) non toxique (dose journalière acceptable 2mg/kg), il sert à donner une couleur agréable à certaines huiles végétales trop raffinées, au beurre ou à certains fromages de Hollande. On l’incorpore dans la nourriture de la volaille pour obtenir des œufs ou une chair bien colorés. La bixine est utilisée en charcuterie comme un conservateur ou additif alimentaire.

Cela peut-il avoir des conséquences sur la population ?

Pas forcement, cela dépend de la dose et des dosages. En toxicologie on dit « Tout est toxique et rien n’est toxique, seul la dose fait le poison ». Je conseille aux producteurs de laisser mûrir les fruits naturellement.

Lors de la 29èmeconférence de la FAO, une signature tripartite FAO-BAD-MIRAH pour l’éradication de la grippe aviaire sur le territoire ivoirien a été effectuée. Croyez vous réellement qu’on peut éradiquer ce fléau hors de notre territoire ?

Je remercie la BAD et les autorités ivoiriennes pour l’engagement qu’ils ont pris pour l’éradication de la maladie en Côte d’Ivoire. Eradiqué une maladie, c’est difficile mais plutôt on peut et il est aisé de la contrôler. Mais, le mot est bien venu parce que cela va donner de l’impulsion au professionnel du secteur pour agir. Sinon au sens propre pour les spécialistes en épidémiologie, c’est de contrôler la maladie dans le but de minimiser son impact et rêver de l’éradiquer. Il faut noter qu’en Côte d’Ivoire, tous les éleveurs ne déclarent pas la maladie dans leurs fermes respectives. Donc, l’essentiel, c’est de contrôler la maladie de telle sorte qu’elle ne puisse pas se propager sur l’ensemble du territoire et empêcher la production de viande saine et par ailleurs avec de très grands risques de contaminer les populations humaines.

C’est en quelle année que la grippe aviaire a fait son apparition pour la première fois en Côte d’Ivoire ?

C’est dans les années 2000 – 2004 que la maladie à connu une montée vertigineuse dans le monde avec le phénomène de mutation du virus A(H5N1) et A(H7N9). Mais, avec le système mis en place par les services vétérinaires en particulier par l’OMS, on est arrivé à contrôler la maladie.

Le coût du financement est fixé à plus de 600 millions F CFA. Selon vous, est ce que cette somme peut-elle suffire à éradiquer la grippe aviaire ?

Il faut dire que les 600 millions FCFA sont les bien venus et cela vaut le coup parce qu’il y a des indemnisations des producteurs, des équipements pour les techniciens sur le terrain, la mise en place de programmes de vaccination et sans oublier le suivi de la réintroduction dans les élevages. Certes il faut davantage, mais remercions les autorités pour cette initiative et c’est certain que les choses vont suivre.

Le Burkina-Faso voisin est touché par la grippe aviaire. Et toute commercialisation des volailles Burkinabé est strictement interdite par le gouvernement. Que direz-vous de cette décision gouvernementale ?

Ce sont des mesures conservatoires qui s’imposent dans de telle circonstance. La grippe aviaire ou influenza aviaire est une maladie à déclaration obligatoire pour les pays avec la prise de certaines mesures sanitaires. Et les autorités Ivoiriennes ont agit dans ce sens selon les directives de l’Organisation Internationale des Epizooties (OIE).

Des Ivoiriens affirment que le gouvernement ne peut contrôler à 100% cette maladie à cause naturellement des oiseaux voyageurs. Confirmez-vous cela ?

Je te donne mon avis personnel en tant que scientifique. Le risque zéro n’existe pas. Si la grippe aviaire était présente totalement sur tout le territoire, on le saurait immédiatement parce qu’elle fait des ravages dans le monde aviaire. En 48 heures elle peut faire 100% de mortalité dans les élevages. C’est comme le virus Ebola chez les humains ou primates, s’il pénètre une frontière, c’est l’hécatombe, il fait des milliers de victimes. Cela signifie que la maladie n’est pas totalement présente sur tout le territoire. Les mouvements migratoires des oiseaux sauvages ne datent pas d’aujourd’hui, de même que l’influenza aviaire. La nature est faite de ces choses. C’est pour cela que les populations aviaires arrivent à survive. Nous, humain devons avoir des comportements compatibles avec notre écosystème et prendre des dispositions et mesures sanitaires qui permettent de contrôler de tel fléau.

Est-ce que LANADA est accrédité ISO/CEI 17025?

Non, le LANADA est en démarche qualité en vue de réunir les conditions d’acquisition à l’accréditation ISO/CEI 17025 pour plusieurs programmes analytiques, notamment en microbiologie alimentaire (Escherichia coli, et Coliformes fécaux et totaux, Staphylocoques doré et Salmonelles/25g) et sur les contaminants (ETM (mercure et plomb), les résidus de pesticides et les mycotoxines (OTA et Aflatoxines) dans le cadre de la sécurité sanitaire des aliments. Notre objectif est de se doter de l’accréditation ISO/CEI 17025 de la majorité des programmes analytiques de nos unités techniques en 2020. Cependant, il est à noter que nous participons à des programmes inter-comparaisons et à des tests de proficiences BIPEA et FAPAS. Il y’a des accords entre la Côte d’Ivoire et l’Union Européenne dans le cadre de la conformité et du respect des prescriptions législatives de l’UE dans les domaines de la sécurité et de la qualité des denrées alimentaires, la santé animale et du bien-être des animaux ainsi qu’en matière phytosanitaire, et de contrôle dans les pays tiers exportant vers l’Union. Le respect des conditions d’importation fixées par cette dernière font que tous les deux ans nos unités, en particulier les deux laboratoires de Treichville reçoivent des auditeurs de l’OAV (Office Alimentaire Vétérinaire) pour des audits techniques et administratifs. Une fois que nous aurons l’accréditation, cela va nous soulager considérablement, dans la mesure que les différents éléments et paramètres des audits de l’OAV sont prouvés dans le programme et les conditionnalités de l’accréditation.

Comment s’obtient cette accréditation ?

L’acquisition de l’accréditation demande des aménagements importants au sein d’une structure. Il faut avoir un personnel bien formé et qualifié qui travaille avec des méthodes analytiques standardisées formalisées ; et aussi qui est par ailleurs un personnel bien motivé et rémunéré. Les évaluations physiques et des fiches de postes peuvent nous permettre de porter des actions correctives. Il faut avoir des stocks de réactives qui couvrent tous vos besoins analytiques annuels. Vos instruments et équipements de métrologie doivent être accordés ou certifiés ; vos locaux ou salles analytiques doivent être dans des dispositions qui évitent les contaminations croisées ; avoir une traçabilité des échantillons analytiques fiable ; participer et mettre en pratique les conclusions tirées des tests d’inter-comparaison et de proficience ; être à l’écoute du client. Avec çà, plus de 80 % des obstacles à l’accréditation ISO/CEI 17025 sont franchis et avec un accompagnement approprié et des actions correctives rigoureusement appliquées suite à des audits, on doit pouvoir être accrédité et pouvoir faire vivre et maintenir cette accréditation qui est la phase la plus compliquée qu’une simple accréditation isolée d’une méthode.

Au niveau du LANADA, nous nous sommes très longtemps orientés vers le comité français d’accréditation (le COFRAC). Et le COFRAC par ailleurs vient de signer des accords de coopération avec le Système Ouest Africain d’Accréditation (SOAC) qui vient d’être mise en place au sein de la CEDEAO, ce qui va nous faciliter beaucoup de choses.

En somme, quel message particulier pouvez-vous adresser aux agriculteurs ?

Je souhaiterais que vous fassiez une large division pour que le monde soit au parfum des problèmes des agriculteurs dans l’ensemble. Je salue le travail que vous faites sur le terrain et je prie Dieu qu’il vous assiste. J’encourage les agriculteurs à s’approprier nos conseils et aussi à se concentrer sur leur métier.

Propos recueillis par : Moussa Camara

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