Politique

Présidentielle 2020: ELIGIBILITE DU PRESIDENT ALASSANE OUATTARA🇨🇮RÉACTION DU PROFESSEUR DE DROIT CONSTITUTIONNEL MARTIN BLÉOU À PROPOS DE QUELQUES CONTREVÉRITÉS

Les tenants du pouvoir et ceux qui gravitent autour du pouvoir croient pouvoir justifier la candidature de Monsieur Alassane Ouattara à l’élection présidentielle d’octobre 2020 en invoquant, tour à tour, le principe de la non-rétroactivité et le caractère de première élection présidentielle sous l’empire de la Constitution de la Troisième République.

C’est à réfuter ces arguments inopérants, manquant de base, que je voudrais m’employer ici afin de contribuer à aider les Ivoiriens et la communauté internationale à saisir la vérité du droit.

I- SUR L’INVOCATION DU PRINCIPE DE LA NON-RETROACTIVITE

Un certain juriste, rĂ©pondant Ă  la dĂ©monstration que j’ai conduite relativement Ă  l’inĂ©ligibilitĂ© de Monsieur Alassane Ouattara, a cru pouvoir m’opposer le principe de la non-rĂ©troactivitĂ©, en Ă©tant oublieux que le principe de la nonďżľrĂ©troactivitĂ©, consacrĂ© par la Constitution et opposable au pouvoir lĂ©gislatif ou, plus largement, Ă  toute autoritĂ© infra-constituante, ne joue qu’à l’égard de la règle nouvelle. En d’autres termes, c’est lorsque la règle de droit est nouvelle
qu’intervient le principe de la non-rétroactivité pour faire échec à son application à des situations antérieures à l’édiction de ladite règle. Ce principe tend à assurer la sécurité juridique et, par conséquent, à lutter contre les remises en cause des situations acquises.

Or, le principe de la limitation du nombre de mandats prĂ©sidentiels n’est pas une règle nouvelle : pour lutter contre le pouvoir Ă  vie ou la patrimonialisation du pouvoir, la Constitution du 1er aoĂ»t 2000 a posĂ© des limites en consacrant le principe de la limitation du nombre de mandats prĂ©sidentiels Ă  deux. Ce principe n’a pas Ă©tĂ© abrogĂ© par la Constitution du 08 novembre 2016, au contraire, par exemple, de l’âge limite de 75 ans ou de la jouissance d’un bon Ă©tat de santĂ© physique et mentale, deux des conditions prescrites par la Constitution du 1er aoĂ»t
2000 pour être candidat à l’élection présidentielle. La Constitution de 2016 a, par
l’effet de son article 55, alinĂ©a 1er, reconduit le principe de la limitation des mandats prĂ©sidentiels Ă  deux. Il suit de lĂ  que le principe de la limitation du nombre de mandats prĂ©sidentiels n’est pas nouveau.

Car, par la volonté du constituant, autorité suprême, ce principe existe depuis 2000. Ainsi, le bon sens et la bonne foi commandent de constater qu’à supposer que l’on ait doté la Côte d’Ivoire d’une nouvelle Constitution aux fins de briguer un troisième, puis un quatrième mandat, l’avènement de la nouvelle Constitution n’autorise guère un troisième mandat par cela seul que la nouvelle Constitution n’a pas supprimé le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux, établi en 2000. L’argument tiré de la non-rétroactivité ayant révélé ses limites et n’ayant donc pu prospérer, une nouvelle trouvaille nous est servie : celle selon laquelle l’élection d’octobre 2020 sera la première sous la Constitution de 2016…

II- SUR L’ARGUMENT TIRE DE CE QUE L’ELECTION PRESIDENTIELLE D’OCTOBRE 2020 SERA LA PREMIERE SOUS LA CONSTITUTION DU 08
NOVEMBRE 2016

S’étant rendu compte du caractère inopérant de l’invocation du principe de la
non-rĂ©troactivitĂ©, l’on en arrive maintenant Ă  soutenir que l’élection prĂ©sidentielle d’octobre 2020, Ă©tant la première qui sera organisĂ©e sous l’empire de la Constitution du 08 novembre 2016 instituant la Troisième RĂ©publique, Monsieur Alassane Ouattara retrouverait une virginitĂ© qui interdit de lui opposer les deux mandants qu’il a dĂ©jĂ  reçus et dont le second demeure en cours sans que l’avènement de la nouvelle Constitution ait remis les compteurs Ă  zĂ©ro en ce qui le concerne !

En vĂ©ritĂ©, ce deuxième argument ne peut, non plus, prospĂ©rer en tant qu’il relève du sophisme : le dĂ©compte du nombre de mandats ne peut se faire Ă  partir de la date de l’avènement de la Constitution de 2016, mais, bien plutĂ´t pour compter de 2000, c’est-Ă -dire de la consĂ©cration du principe de la limitation du nombre de mandats prĂ©sidentiels dont on a vu qu’il n’a pas cessĂ© d’exister depuis 2000.

Le principe de la limitation existant depuis 2000, les deux mandats, obtenus
respectivement en 2010 et 2015, sont régis par ledit principe. Il en va, évidement, ainsi, car 2010 et 2015 sont postérieurs à 2000.
On le voit bien, il ne s’agit pas de l’ordre de l’élection d’octobre 2020. Il n’est
pas question de savoir quel est l’adjectif numĂ©ral ordinal qui s’applique Ă  l’élection prĂ©sidentielle   d’octobre 2020. Il ne s’agit donc pas de savoir si elle est la première ou la dixième Ă©lection organisĂ©e sous la Constitution de 2016. Il s’agit plutĂ´t de savoir si Monsieur Alassane Ouattara, qui a bĂ©nĂ©ficiĂ©, dĂ©jĂ , de deux mandats prĂ©sidentiels, peut ĂŞtre candidat Ă  l’élection prĂ©sidentielle d’octobre 2020 sans que le principe de la limitation, qui existe depuis 2000, le rattrape ou lui soit opposable.

La question devant ĂŞtre apprĂ©ciĂ©e par rapport au nombre de mandats prĂ©sidentiels reçus par Monsieur Alassane Ouattara depuis la consĂ©cration du principe de la limitation du nombre de mandats prĂ©sidentiels Ă  deux et non depuis la naissance de la Troisième RĂ©publique, l’on aboutit au constat qu’au regard du droit, Monsieur Alassane Ouattara n’est pas Ă©ligible Ă  l’élection prĂ©sidentielle d’octobre 2020.
C’est dire que c’est en vain que l’on tente d’anesthĂ©sier les consciences en leur innoculant du faux …

Fait à Abidjan, le 14 août 2020
Martin Bléou

Agrégé de droit public et science politique
Professeur titulaire des Universités
Président d’honneur de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme
Ancien vice-président de l’Union interafricaine des droits de l’homme
Ancien ministre de la Sécurité intérieure

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